« Comme vous voyez, le TRI projeté est supérieur à 35% ». Wow, 35%, quel deal! Le problème est que le deal que j’avais sous les yeux n’avait rien de particulier. Le terrain était affiché au prix du marché. La localisation n’était pas mauvaise, mais pas exceptionnelle non plus. La structure du projet était aussi très standard. Je savais qu’aussitôt que je commencerais à creuser un peu, je trouverais un paquet d’hypothèses agressives, ou d’hypothèses qui ne faisaient tout simplement pas de sens. Peut-être aussi des erreurs de modélisation. Dans ce cas précis, les réunions suivantes avaient donné lieu à un bon spectacle (bon pour le divertissement, mais mauvais pour le rendement).


J'ai vu des développeurs promettre des rendements spectaculaires qui, une fois décortiqués, étaient davantage mirage que réalité.


On a déjà examiné la base du TRI dans cet article. Aujourd’hui, on examine 5 tours de passe-passe. 5 tactiques souvent utilisées pour augmenter artificiellement le TRI d’un projet de développement.


J’utilise un projet de développement fictif, pas tout à fait assez sexy pour lever du capital :


Les tours de passe-passe que je décris ci-bas sont tous des exemples réels que j’ai (malheureusement) vus dans des présentations d’investisseurs.


1. Une revente trop optimiste : Le cap rate magique


La valeur de revente de l’actif est souvent la variable qui influence le plus le TRI.


Les grandes firmes de courtage (CBRE, Colliers, etc) publient régulièrement des rapports sur les taux de cap actuels. Évidemment, les données qu’ils publient sont des moyennes de marché. Chaque actif a une histoire et un profil de risque différent.


La modélisation de projets de développement inclut habituellement une période de détention de 5, 7 ou 10 ans, dépendant des développeurs. Prévoir précisément un taux de cap dans 10 ans est évidemment impossible. Mais il y a tout de même moyen d’être raisonnable.


Le taux de cap du scénario de base ci-haut est de 4.5%. En date d’aujourd’hui (mars 2025), il s’agit d’un taux de marché assez standard. Le dernier rapport de marché de CBRE présente 4.5% comme étant le taux de cap moyen pour les nouvelles constructions résidentielles au cours des derniers trimestres.


J’ai déjà entendu un développeur dire : « Avec le niveau d’endettement actuel, c’est certain que les taux vont baisser à court terme. Les taux de capitalisation vont évidemment suivre, je pense que 4.0% est conservateur ». Ok. Pour l’instant, évitons d’examiner la relation entre taux de cap et taux d’intérêt (sujet plus complexe dont on discutera prochainement). Juste le fait de dire « c’est certain que » suivi d’une prévision macroéconomique est n’importe quoi. Un développeur qui peut prédire le niveau des taux d’intérêt devrait déménager à Wall Street et aller faire quelques milliards de dollars en passant quelques heures par jour devant l’ordi.


Dans notre scénario, si on fait passer le taux de cap de 4.5% à 4.0%, la valeur de revente de l’immeuble passe de 132.2M$ à 148.8M$ :


Le TRI passe de 11.3% à 14.6%. Magie!


Toujours vérifier le cap rate de sortie; comment a-t-il été fixé, pourquoi, etc.


2. Des augmentations de loyers projetés trop beaux pour être vraies


"Je m’attends à ce que les loyers augmentent d'à peu près 5% par année pour les prochains 10 ans." Le développeur de Trois-Rivières avait eu un gros dîner : steak frites, 3-4 Coronas. Au moins, il avait dit « à peu près 5% », ça démontre un peu d’humilité…


5% par année pendant une longue période, c’est énorme. En plus, au Québec, les 5 premières années de location d’un bâtiment résidentiel ne sont pas touchées par les calculs du Tribunal du logement. Mais à partir de l’an 6, les hausses sont plafonnées. Oui, pour certaines années le taux d’augmentation permis est élevé (près de 6% en 2025 par exemple), mais de façon générale on se rapproche plus de l’inflation de 2-3%.


Dans mon scénario de base, l’indexation des loyers pour les 5 premières années du projet est de 3.0%. Si je remplace ce montant par 5.0%, il y a plusieurs impacts :


a) Évidemment les profits d’opération annuels de l’actif augmentent puisque les loyers sont plus élevés.


b) Étant donné que la performance opérationnelle est meilleure, mon montant de refinancement suite à la stabilisation de l’immeuble est plus élevé, donc j’ai moins d’équité investie dans le projet à partir de ce moment.


c) J’applique mon taux de cap de 4.5% à un revenu d’opération à l’an 5 beaucoup plus élevé, ce qui augmente la valeur de revente de l’actif.


Résultats :


Une augmentation du TRI de pratiquement 9%!


3. Un taux d'inoccupation sous-estimé (ou inexistant)


J'ai rarement vu un immeuble atteindre 100% d'occupation dès la fin de sa construction. En fait, je ne me rappelle que d’une fois, et la raison était que les loyers étaient beaucoup trop bas (il y avait une erreur de formule assez spectaculaire dans le modèle financier, c’est une histoire pour une autre fois…)


Même dans un marché dynamique, les projets prennent plusieurs mois pour atteindre leur stabilisation. Ça dépend du nombre d’unités : il est évidemment moins long de remplir un bloc de 20 logements qu’une tour de 325 logements.


Si je suis trop agressif dans ma prévision de rythme de location, je prends pour hypothèse que le prêt long-terme sera mis en place rapidement et qu’ainsi ma perte de stabilisation (les intérêts durant la période où on remplit le bâtiment) sera diminuée de beaucoup.


Autre hypothèse que j’ai vue régulièrement : un taux d’occupation de 100%. Pas certain si c’est une hypothèse ou un oubli, mais peu importe : c’est certain qu’il y aura des logements vides à un moment donné. Et c’est aussi certain que quelques locataires ne paieront pas leur loyer pour une raison XYZ.


Dans mon scénario de base, je prends 15 mois après la construction pour remplir mon bâtiment. J’ai aussi une inoccupation (qui couvre également les mauvaises créances comme les locataires qui ne paient pas) de 5%. Si on prend pour hypothèse que le bâtiment est prêt dès la fin de la construction et que l’occupation est de 100%, voici le résultat :


4. Des dépenses d'exploitation minimales


Les promoteurs « oublient » souvent d’inclure certaines dépenses opérationnelles dans leurs calculs de rentabilité.


D’autres fois, les projections font du sens, mais ne sont pas reconnues par le marché. L’exemple classique est le frais de gestion de la propriété. Un développeur me disait qu’il s’occupait de leurs propriétés sans charger de frais de gestion puisque tout est à l’interne, aucun gestionnaire externe n’est impliqué. Donc le pro forma du développeur n’incluait pas le frais de 4 à 8% des revenus du bloc appartements (% dépendant du nombre d’unités). D’accord, mais à la vente, un nouvel acheteur va vraisemblablement engager un gestionnaire de propriété, donc va inclure le frais de gestion dans son calcul de valeur.


La charge d’énergie est également souvent sous-estimée par les propriétaires qui louent leurs unités pour un montant incluant l’électricité.


Dans mon scénario de base, les dépenses représentent 35% du revenu effectif brut de la propriété. Si j’avais « oublié » quelques dépenses et que j’avais mis 30% de dépenses dans mon pro forma, le TRI projeté ressemblerait plutôt à ceci :


5. Un horizon de projet raccourci pour gonfler le TRI


Plus le projet est court, plus le TRI sera élevé, puisque la variable temps a un impact majeur sur son calcul.


Les projets de développement se terminent rarement en avance sur l’échéancier prévu. Dans la grande majorité des cas, c’est l’inverse. La période d’obtention des permis est souvent plus longue que prévue; le développement y progresse à la vitesse gouvernementale - pas tout à fait à la vitesse de l’éclair.


Dans mon scénario de base, étant donné qu’il y a une dérogation municipale à obtenir, j’utilise une période d’obtention des permis de 18 mois et 24 mois de construction par la suite. Si j’utilisais plutôt une hypothèse de 3 mois pour l’obtention des permis et 20 mois de période de construction :


Comment protéger votre investissement?


On vient de voir ci-haut que chaque hypothèse trop agressive peut augmenter le TRI de 3 à 8% chacune. Ça n’en pas prend pas beaucoup pour faire passer un TRI projeté de 11% à 20%.


Comment détecter les tours de passe-passe TRI?


a) Demandez le modèle financier complet. Analysez les hypothèses principales une par une.


b) Comparez les projections avec les données actuelles du marché local.


c) Ajustez les variables clés pour créer votre propre scénario d’investissement.


d) Calculez la sensibilité du TRI aux changements d'hypothèses des variables les plus importantes (ou la sensibilité aux variables les plus difficiles à prédire). J’écrirai un article complet sur ce point crucial dans quelques semaines.


Un TRI de 35% dans Excel c’est bien. Un TRI réel de 20% c’est mieux. Surtout parce le TRI Excel de 35% est parfois (souvent?) un TRI de 12% quand on élimine certaines hypothèses trop agressives.

BRIQUES ET DOLLARS

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