Budget initial VS budget final : Pourquoi la différence est souvent astronomique

Depuis que je travaille en développement immobilier, j'ai vu pratiquement autant de budgets exploser que de budgets qui respectent leurs prévisions initiales. Pourtant, en début de projet tout le monde est d’accord sur le fait que le budget est « solide ». Aujourd’hui, on analyse quelques-unes des raisons derrière ces écarts frustrants.


L'illusion de la prévision parfaite


J'ai longtemps cru que plus un expert était reconnu publiquement, plus ses prédictions devaient être utiles. Naïf. La réalité? Les experts se trompent souvent. Très souvent. Faites l’exercice suivant : pour les 20 dernières années, tentez de retrouver les prévisions des banques sur les taux d’intérêt à venir (je dis « tenter de retrouver » parce que bien souvent, les prédictions du passé disparaissent mystérieusement…). Comparez ensuite ces prédictions avec les taux d’intérêt réels des années subséquentes. Vous me direz le résultat (sérieusement, pas besoin de me dire le résultat, évidemment si je n’avais pas fait l’exercice je n’écrirais pas ces lignes).


Est-ce que les gens qui travaillent dans les banques sont mauvais? Non. Mais prévoir précisément une variable qui dépend de milliers d’autres variables et évènements sur la scène mondiale est une perte de temps. Analyser la situation et faire des analyses de sensibilité basées sur différents scénarios est une approche intelligente. Se fier aveuglément sur la boule de cristal de monsieur ou madame Big Shot est stupide.


Ce n’est pas juste mon opinion. Vous pouvez consulter un paquet d’articles en ligne sur la fiabilité des prédictions des expert, comme celle-ci de Philipe Tetlock, professeur à l’Université de Pennsylvanie. Ou encore, cette étude qui couvre 23 ans de prédictions sur Wall Street.


Notre cerveau nous joue des tours


On a tendance à accepter les données et explications qui confirment ce qu’on veut croire. Si un promoteur croit initialement pouvoir réaliser un projet en 12 mois avec un budget X, son cerveau sera plus réceptif à des arguments et des analyses pour le justifier. Les chercheurs en psychologie appellent ce phénomène le biais de confirmation. L’humain accorde plus de poids aux informations qui confirment son hypothèse de départ, versus les informations qui l’en éloigne.


Le mécanisme se manifeste de façon inconsciente.


Mais évidemment, il y a également des promoteurs qui font exprès d’ignorer et ne pas présenter des informations de base à leurs investisseurs Des informations qui contredisent la thèse d’investissement initiale. Rien d’inconscient ici ; juste des mensonges pour éviter qu’un projet soit annulé (et que le promoteur ne puisse pas collecter ses honoraires de développement). Des menteurs en immobilier, j’en ai rencontré un ou deux…


Les imprévus ne sont pas si imprévus


Les surprises sont inévitables. Sur chaque chantier, quelque chose va mal tourner. Ce n'est pas une question de "si", mais de "quand". Le sol est contaminé. Un sous-traitant fait faillite. Les matériaux sont en rupture de stock.


J’ai vu des promoteurs mettre dans leur budget des contingences minimes. 3% des hard costs et 2% des soft costs. 4% des hard costs. J’en ai même vu un qui avait 0$ parce que c’est lui le constructeur et qu’il connait parfaitement ses coûts…


5% des hard costs du projet est quant à moi le minimum absolu. Idéalement 5% des coûts totaux du projet. Ça fait mal au pro forma initial. Mais ça fait moins mal que de manquer de cash en plein chantier.


La sous-estimation des délais, un piège qui coûte cher


Le temps, c'est de l'argent. En construction, c'est particulièrement vrai.


L’exemple classique : la Ville a mis plus longtemps que prévu pour émettre un permis. Résultat : 1M$ en frais de financement et coûts de détention supplémentaires. Mais ça ne s’arrête pas là.


Les délais créent un effet domino. Un retard de permis repousse le début des travaux. On se retrouve à couler du béton en hiver. Les coûts de chauffage n’étaient pas prévus. Le bloc appartement était censé être livré pour juin, mais avec 5 mois de retard on va manquer la période de pointe des déménagements. Et ainsi de suite.


À l’inverse, les surprises positives au niveau de l’échéancier sont très rares. Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de projets que j’ai vu se terminer en avance par rapport au calendrier initial.


Des plans et devis de construction imprécis


C’est très fréquent que les plans des architectes doivent être quelque peu modifiés pour refléter la réalité sur le terrain. Mais il y a des limites.


Si les plans et devis sont imprécis, l’entrepreneur général risque de devoir modifier plusieurs aspects du projet. Comme vous le savez, c’est assez rare que des modifications en cours de projet amènent une baisse des coûts.


Parfois, l’entrepreneur général peut détecter les erreurs en amont et minimiser les dégâts. D’autres fois, c’est sur le chantier que les défaillances deviennent évidentes. La plupart du temps selon mon expérience, l’entrepreneur agit de bonne foi et tente de régler les problèmes au fur et à mesure qu’il s’en rend compte.


Certains entrepreneurs plus malhonnêtes détectent les imprécisions de devis dès la réception des plans mais n’en disent rien. Ils soumissionnent un bas prix pour la construction du projet (pour ainsi gagner la soumission). Ensuite, ils déballent les problèmes sur le chantier et ajoutent des extras à la tonne.


Méfiez-vous des soumissions trop basses. Quand c’est trop beau pour être vrai...


Des pistes de solution


Faire un pro forma pour un projet de 2, 3, 10 ans demeurera toujours un exercice imparfait. Les surprises sont presque toujours négatives. Les surprises négatives font en sorte que les rendements réels sont finalement plus bas que les rendements modélisés en début de projet. Et parfois, la différence est énorme.


Il existe des mesures qui peuvent minimiser ces différences. En voici certaines que j’utilise sur tous mes projets :


1. Utiliser une contingence projet d’au moins 5% hard costs, idéalement 5% des coûts totaux.


2. Présenter quelques scénarios de rendement aux investisseurs (en plus du scénario de base), ou à tout de moins présenter une analyse de sensibilité sur les variables importantes.


3.Une fois le projet débuté, faire le suivi des coûts réels vs budgétés mensuellement, et réagir instantanément si des tendances se dessinent.


Au final, il y aura toujours une différence entre le budget initial et le réel. C'est la nature de notre industrie. C’est la nature de réaliser des projets de 2, 3, 10 ans. Mais en étant prudent, en modélisant plus d’un scénario avant que le projet ne débute, et en étant proactif une fois que celui-ci est débuté, on se donne une meilleure chance réaliser des projets satisfaisants financièrement.

BRIQUES ET DOLLARS

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